Garde : temps de travail ou pas ?
Février 2022 - La « garde » compte-t-elle comme temps de travail ? Cette question a été soumise à la Cour de justice de l’Union européenne mi-novembre 2021 à propos de la garde d’un pompier. Ce n’était pas la première fois, car la Cour avait déjà été appelée à se prononcer sur la question en mars 2021. Conclusion : le simple fait d’être de garde peut également être considéré comme du travail.
Pompier
Un jeune Irlandais travaille à temps partiel comme pompier pour le conseil municipal de Dublin. Il doit participer à 75 % minimum des interventions de la brigade ; il peut donc refuser une intervention sur quatre. Pendant sa garde, le pompier n’est pas obligé d’être présent dans un lieu déterminé, mais s’il reçoit un appel d’urgence, il doit être à la caserne dans les cinq à dix minutes maximum. Cette période de garde sous régime d’astreinte est de vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, sauf en cas de congé ou d’indisponibilité annoncée au préalable.
Notre pompier peut aussi exercer parallèlement une activité professionnelle. En cause, il travaille comme chauffeur de taxi indépendant. Il ne peut en revanche pas consacrer plus de quarante-huit heures par semaine en moyenne à cette autre activité et il ne peut pas non plus exercer cette autre activité professionnelle pendant ses heures de travail actives comme pompier réserviste. Les heures de travail actives sont non seulement les heures passées à intervenir sur un sinistre, mais également celles consacrées aux autres activités de la brigade, telles que les entraînements.
Joignable, disponible, appelable
Le pompier estime que les heures pendant lesquelles il est appelable doivent être qualifiées de temps de travail. Il argumente qu’il doit en permanence être en mesure de répondre rapidement à un appel d’urgence, de sorte qu’il ne peut se consacrer librement à des activités familiales et sociales ni à son activité professionnelle de chauffeur de taxi. Selon lui, le conseil municipal de Dublin méconnaît les règles en matière de repos journalier, de repos hebdomadaire et de durée maximale hebdomadaire de travail en imposant une garde de vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept et en ne qualifiant pas ces heures de temps de travail.
Cour de Justice
La question concrète sur laquelle la Cour se penche est de savoir si la période pendant laquelle le pompier est de garde sous régime d’astreinte, pendant laquelle il peut exercer une activité professionnelle indépendante avec l’autorisation de son employeur, mais pendant laquelle il doit arriver à la caserne dans les dix minutes maximum en cas d’appel d’urgence, doit être qualifiée de temps de travail.
La Cour de justice renvoie à cet égard à la directive 2003/88 qui fixe les prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail. Le temps de travail au sens de cette directive est toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. Le temps de repos correspond quant à lui à toute période qui n’est pas du temps de travail.
Selon la Cour, une période de garde est qualifiée de temps de travail si le travailleur a des contraintes majeures d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts.
Inversement : lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du temps de travail.
Mais dans quels cas une garde sous régime d’astreinte génère-t-elle des contraintes majeures ayant un impact très significatif sur la gestion, par le travailleur, du temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités ?
Contraintes majeures
Selon la Cour de justice, il convient d’avoir égard au délai dont dispose ce travailleur pour reprendre les activités pour lesquelles il est de garde, conjugué, le cas échéant, à la fréquence moyenne des interventions que ledit travailleur sera effectivement appelé à assurer au cours de cette période.
Si le travailleur ne dispose que de quelques minutes pour reprendre les activités pour lesquelles il est de garde, la période de garde doit en principe être considérée dans son intégralité comme du temps de travail.
Il faut également tenir compte, le cas échéant, des autres contraintes qui sont imposées au travailleur et des facilités qui lui sont accordées au cours de cette même période.
Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si le pompier est soumis, au cours de ses périodes de garde sous régime d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles affectent, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels en tant que pompier réserviste ne sont pas sollicités. Mais la Cour ajoute subtilement que :
le pompier ne devait à aucun moment se trouver dans un lieu précis pendant la garde (il n’était donc pas obligé d’être présent à la caserne) ;
il n’était pas tenu de participer à l’ensemble des interventions assurées à partir de sa caserne d’affectation (il pouvait refuser un quart des interventions) ; et
il lui était permis d’exercer une autre activité professionnelle n’excédant pas quarante-huit heures hebdomadaires en moyenne.
Ces circonstances pourraient, selon la Cour, constituer des éléments objectifs permettant de considérer que le pompier était en mesure de développer, selon ses propres intérêts, cette autre activité professionnelle pendant ces périodes et d’y consacrer une partie considérable du temps de celles-ci.
La seule objection qui pourrait être opposée est que la fréquence moyenne des appels d’urgence et la durée moyenne des interventions empêchent l’exercice effectif par le pompier d’une autre activité professionnelle.
La Cour rejette explicitement les difficultés organisationnelles, comme le lieu de résidence choisi par le pompier ou le lieu où il exerce son autre activité professionnelle.
Des obligations aussi pendant les périodes de repos
Mais même en considérant que les gardes ne constituent pas du temps de travail, et que les périodes de garde doivent donc être qualifiées de périodes de repos, l’employeur a tout de même des obligations afin de protéger la sécurité et la santé de ses travailleurs. L’employeur ne peut instaurer des périodes de garde à ce point longues ou fréquentes qu’elles constituent un risque pour la sécurité ou la santé de son travailleur, indépendamment du fait que ces périodes soient qualifiées de périodes de repos.
Mais cela doit être réglé dans le droit national de chaque pays.
Droit belge
Le droit belge est-il conforme à cet arrêt ? On peut considérer que c’est le cas.
La législation belge prévoit que si des prestations doivent effectivement être réalisées pendant une garde, un salaire doit effectivement aussi être payé.
En revanche, rien n’est prévu dans la loi pour le cas où il n’y a pas de prestations effectives, mais la plupart des conventions collectives de travail prévoient un régime de rémunération des gardes. Peu importe que des prestations soient effectivement réalisées ou non pendant ces gardes. Les entreprises peuvent y déroger, mais les dispositions des CCT sectorielles ont valeur de dispositions minimales.